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Jean-Luc Mélenchon : "Il faut arrêter de voir la santé comme un coût" (1/3)

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En 2011, différentes mesures législatives ont été prises concernant la situation des personnes étrangères et tout spécialement celles qui sont malades qu’elles soient ou non en situation irrégulière. L’Aide médicale d’Etat (AME) a ainsi été largement réformée et le droit au séjour pour soins sévèrement attaqué. Que pensez-vous de ces décisions ?


Ces décisions sont contraires à toute logique de santé publique. La criminalisation de l'étranger est un leitmotiv des politiques de la droite directement repris au FN et à son travail pour nourrir la peur de l’autre. C’est absurde car microbes et virus ignorent la nationalité des personnes qu’ils frappent. Cette stigmatisation touche les personnes victimes du VIH/sida, qui se voient refuser le droit à la santé pourtant inscrit dans notre Constitution. L’argument économique mis en avant pour réformer l’Aide Médicale d’État (AME) est totalement fallacieux. C’est ce qu’a montré un rapport conjoint de l’Inspection générale des Affaires sociales et de l’Inspection des Finances que le gouvernement a d’ailleurs caché aux parlementaires alors qu’ils étaient en train de discuter de cette réforme ! Sans même parler du coût humain, économiser sur la prévention ou sur la prise en charge des soins d’une population, particulièrement des plus précaires, est toujours un mauvais calcul. L’accès tardif aux soins a des conséquences néfastes sur la santé des personnes et le coût est alors bien supérieur. Le VIH offre l’une des illustrations les plus parlantes de cette absurdité. Hélas avec la Droite populaire, le pire est toujours possible. Parmi les propositions défendues par les amis de Monsieur Vanneste [député UMP, membre de la Droite populaire, ndlr] on trouve le projet de "supprimer toute aide publique aux associations venant en aide aux étrangers illégaux" et celui de "la limitation de la durée d’accueil en hébergement d’urgence et de stabilisation". Autant de mesures qui confinent à la barbarie car en refusant de soigner un être humain on dénie le fait qu’il est notre semblable.

Concrètement, quelles mesures préconisez-vous ?
Je m'engage à abroger les dispositifs restreignant l'accès aux soins. Il s’agira de revenir notamment sur le droit de timbre pour l’accès à l’AME. Mais aussi sur tous les dispositifs dont le cumul aboutit à faire supporter un reste à charge de 400 euros par an pour 20% des patients. Ce sont les plus malades qui sont les plus taxés ! Nous devons refonder l’ensemble du droit à la santé qui ne se fera pas sans implication des acteurs, des personnels, des associations comme des citoyens. Pour cela le Front de gauche se fixe l'objectif d'un remboursement à 100% des dépenses de santé couvertes par la Sécurité sociale. Il faudra aussi corriger les limites de la CMU, à commencer par les effets de seuil liés aux revenus. La santé n’est pas une marchandise, c’est un droit inaliénable qui doit être accessible à tous et toutes. Aujourd’hui, pour être soigné on doit présenter ses papiers, demain, si nous n’y prenons garde ce sera sa carte de crédit. Lutter pour le droit des étrangers à accéder aux soins, c’est lutter pour la santé publique de tous.

La réforme du droit au séjour pour soins aboutit aujourd’hui à la suppression de titres de séjour de personnes gravement malades, à des décisions de renvoi dans leurs pays d’origine. A diverses reprises, des médecins ont annoncé qu’ils continueraient de soigner les personnes victimes de cette mesure, y compris celles qui sont contraintes à la clandestinité.

 

Que pensez-vous de cet engagement qui s’apparente à de la désobéissance civile ?
Le Front de Gauche s’est fortement mobilisé contre cette réforme et pour exiger le maintien du dispositif antérieur. En 1997, la loi Debré a intégré dans la législation la protection des étrangers gravement malades contre l’éloignement du territoire. L’année suivante, la loi Chevènement renforçait cette protection grâce à la délivrance de plein droit d’une carte de séjour temporaire accordée à l’étranger, atteint d’une pathologie d’une exceptionnelle gravité et vivant en France, qui "ne puisse effectivement bénéficier du traitement approprié dans son pays d’origine". La réforme du ministre Eric Besson joue avec la vie humaine en renvoyant des malades à la mort et fait fi de la réalité de l’accès aux soins dans les pays dits "en développement". La mobilisation de votre association a contribué à voir finalement la circulaire d’application accorder un peu de répit. Mais il faudra abroger cette loi dangereuse et injuste pour rétablir sa version antérieure car comme le rappelait le Conseil National du Sida, dans le cas de l’infection du VIH comme pour de nombreuses autres pathologies, "le problème n’est plus aujourd’hui celui de l’existence des traitements appropriés dans le pays d’origine mais celui de leur accessibilité". Dans ces pays, l’accès aux soins et au suivi médical sont soit réservés à une oligarchie, soit dépendants des possibilités limitées des hôpitaux publics ou des associations. Lutter pour l’accès aux soins de toutes et tous implique de remettre en cause la répartition actuelle des richesses. Il faut saluer à ce propos les mouvements de lutte contre le sida souvent fondés par les séropositifs et leurs proches, qui se battent pour le meilleur accès aux soins possible. Leur mobilisation, souvent liée à d’autres mouvements sociaux, est celle de la dignité de personnes luttant pour le droit le plus élémentaire à la santé. Même si elle ne s’attaque pas directement aux pouvoirs financiers, elle participe de cette révolution citoyenne que nous voyons progresser, celle de la réappropriation du pouvoir par les citoyens et les peuples pour la conquête de nouveaux droits. Ces mobilisations contribuent à la prise de conscience à l’échelle planétaire de l’urgence de lutter contre l’inégalité devant l’accès aux traitements dans les pays du Sud mais aussi dans des "pays riches" tels les Etats-Unis où des millions d’habitants vivent sans protection sociale. L’universalisation de l’accès à des traitements à bas coût nécessite de remettre en cause les logiques de marché et de concurrence dans le domaine de la santé.

Et sur la notion de désobéissance civile…
Concernant la désobéissance "civique", quand la loi se fait au détriment de la justice et participe de la construction d’un ordre sécuritaire contre les libertés publiques, que peuvent faire les citoyens pour que le droit redevienne l'instrument de l'intérêt général ? Il ne leur reste plus qu’à résister. Au Front de Gauche nous soutenons les médecins, les citoyens qui s’opposent à la modification de la loi qui permettait la protection d’office, par le droit au séjour, des étrangers gravement malades qui vivent en France et ne peuvent pas accéder aux soins dans leurs pays d’origine. D’ailleurs l’ONU utilise le concept d’accessibilité pour les populations les plus vulnérables et précise que celle-ci doit être tant physique qu’économique. Il n’est pas question d’accepter le moindre recul dans la protection des étrangers, a fortiori quand ils souffrent de pathologies graves.

Ces dernières années, les choix du gouvernement en matière de comptes sociaux ont eu des conséquences importantes sur la vie des personnes malades et tout spécialement celles qui sont atteintes d’affections de longue durée. La mise en place des franchises médicales, la multiplication des déremboursements de médicaments, la hausse du prix des consultations, des forfaits hospitaliers… ont eu pour conséquence d’augmenter le reste à charge pour les personnes malades et surtout de renforcer une logique individuelle contre la solidarité collective.

 

Quelles sont les conséquences de cette politique ?
Comme l’argument de la dette, la stigmatisation des étrangers est employée pour détourner l’attention du peuple du système libéral qui profite des crises qu’il a provoquées afin de faire reculer partout les droits collectifs. Les restes à charge pesant sur les usagers du système de santé, et a fortiori sur les personnes atteintes de pathologies graves, sont désormais très importants. La multiplication des franchises médicales et des dépassements d’honoraires sont une barrière réelle à l’égal accès aux soins, surtout pour les plus précarisés. La droite a mis en œuvre un projet politique qui vise à détruire l’édifice bâti au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale basé sur une santé solidaire. L’un des thèmes sur lesquels jouent ses promoteurs est celui de la "responsabilisation" des patients-consommateurs. Avec eux, si vous êtes malade, c’est parce que vous l’avez cherché, d’une manière ou d’une autre – ce qui ne peut que résonner fortement à l’oreille de personnes mobilisées dans la lutte contre une maladie transmissible. Et que, de ce fait, vous devez payer. Cette vision de la santé est à l’opposé de notre système de Sécurité sociale fondé sur la solidarité. En "marchandisant" la santé, l’UMP a fait exploser les inégalités sociales de santé. Les principales victimes sont les malades, et les personnes touchées par le VIH pas moins que les autres, évidemment. Nous proposons donc le remboursement intégral à 100% des dépenses de santé couvertes par la Sécurité sociale, en y incluant les lunettes et les soins dentaires. Nous supprimerons en conséquence les forfaits et les franchises à charge du patient. Il faudra non seulement rétablir les droits des malades mais aussi revenir sur la nouvelle carte sanitaire qui menace l’accès aux soins pour ceux qui habitent en zone rurale ou périurbaine. Les personnes vivant avec le VIH en savent quelque chose, elles qui ont besoin d’une prise en charge multidisciplinaire de qualité que doivent pouvoir offrir, sur tout le territoire, des établissements de santé publics en lien avec d’autres acteurs de soins de proximité, pour éviter les risques de complications ou d’autres pathologies associées.

En matière de dépenses de santé, de tarification, d’équilibre des comptes sociaux, etc. quelles propositions faites-vous ?
Nous ne le dirons jamais assez : l’accès à la prévention et aux soins est un droit fondamental de tout être humain, quelles que soient sa nationalité ou ses conditions sociales. Pour le Front de Gauche la santé est un bien commun de l’Humanité, notre programme s’intitule "L’Humain d’abord", et nous y faisons une place importante aux questions liées à la santé et au devenir de l’Assurance maladie. Aujourd’hui, l’apparition et le développement, dans notre pays, des maladies chroniques et de véritables "épidémies", y compris celles liées à l’environnement ou aux modes de vie (cancers, sida, obésité, diabète etc.) exigent à penser le passage d’une logique de soins à une logique globale de santé fondée notamment sur une politique de prévention (promotion de la santé, éducation à la santé, diminution des facteurs de risque, dépistage). La planification écologique que nous défendons veillera à intégrer les facteurs environnementaux, sociaux et professionnels dans les déterminants de la santé des personnes et des populations. Cela nécessite que les services de santé scolaires et au travail disposent des moyens financiers et humains nécessaires à leurs missions redéfinies, coordonnés à un maillage territorial garantissant l’accès aux soins pour tous. Cela nécessite aussi une nouvelle politique en matière de recherche publique (maladies professionnelles, pathologies liées au vieillissement, etc.).

Un tel changement de logique a besoin de financements importants…
Il faut arrêter de voir la santé comme un coût. Consacrer une part importante de notre richesse aux dépenses de santé plutôt qu’à enrichir une minorité est un choix de société que nous assumons au Front de Gauche. Le financement de la Sécurité sociale, qui renvoie à la question de l’équilibre des comptes sociaux, ne peut pas fonctionner à budget constant. Il faut repenser les comptes sociaux en considérant que les fonds qui les abondent représentent une part de la richesse produite. La couverture santé à 100% par la Sécurité sociale que nous défendons représenterait au plus une dépense supplémentaire de 2% du PIB [produit intérieur brut, ndlr]. C'est tout à fait réaliste car le pays n'a jamais été aussi riche et la part croissante consacrée à la santé n'est pas un poids mais un atout économique. Financée par le travail, la protection sociale est rongée par le chômage, la précarité, les bas salaires et les exonérations des cotisations sociales accordées massivement sans que cela ait eu le moindre effet pour l’emploi. La création d’emplois et l’augmentation des salaires créerons un cercle vertueux qui améliorera les comptes sociaux. Nous assumons de rompre avec la logique de diminution de la part des revenus du travail et des cotisations sociales dans la richesse créée (10% du PIB en un quart de siècle soit prés de 200 milliards par an) pour favoriser une logique de financement public et solidaire basé sur la cotisation sociale. Dans cette logique, nous proposons aussi de taxer les revenus financiers des entreprises.

Quelles autres pistes avez-vous en matière de comptes sociaux ?
L'équilibre des comptes sociaux passe aussi par une autre politique du médicament qui va au-delà de l'actuelle généralisation des génériques. Chaque année de nouveaux médicaments reçoivent une autorisation de mise sur le marché et l’assurance maladie les rembourse alors qu’ils n’apportent pas une amélioration significative par rapport aux médicaments existants. Seuls, un petit nombre des médicaments qui reçoivent une autorisation de mise sur le marché sont réellement plus efficaces, vu que les tests sont faits en comparaison avec des placebos. La Haute autorité de santé, chargée de délivrer cette autorisation, indique que 85% des médicaments qu’elle examine chaque année n’apportent aucun progrès. Sur les 77 médicaments placés sous surveillance en 2011, 24 n’apportaient aucune amélioration et plus de la moitié était plus chère que le médicament existant précédemment. Pour arrêter cette gabegie, nous voulons libérer la recherche et la production pharmaceutique de la soumission au marché, grâce à un pôle public du médicament qui interviendra sur la recherche, la production et la distribution des médicaments.

En matière de santé, le gouvernement actuel a tout misé sur la contribution des malades, les taxes sur les labos et les mutuelles et un programme contraignant d’économies pour les hôpitaux. Cette politique a d’ores et déjà des conséquences sur l’organisation des soins et la qualité de la prise en charge des personnes malades. On peut le mesurer avec ce qui se passe avec l’AP-HP en Ile-de-France.

Selon vous qu’est-ce qui pose problème dans cette politique et que proposez-vous ?
Le Gouvernement a effectivement ciblé les malades pour faire des économies de bouts de chandelle qui n'ont même pas réussi à équilibrer les comptes sociaux. Ainsi le développement des franchises médicales était cyniquement censé "responsabiliser les malades" à travers l'augmentation du "reste à charge" non remboursable, alors même que ces frais forfaitaires s'appliquent aussi pour les malades d'affection de longue durée ou de victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles... Comme si ceux-ci étaient responsables de leurs maladies, voire de leur consommation de soins qui n'est jamais que celle prescrite par ordonnance d'un professionnel de santé ! Et le paiement à l'acte dans le cadre de la médecine libérale n'est jamais interrogé, alors qu’il n’est pas adapté aux besoins de la prise en charge médicale des pathologies chroniques graves. Nous proposons de développer des centres de santé avec des médecins salariés, intégrés dans des réseaux de santé avec les hôpitaux. Nous voulons revaloriser le praticien de santé du secteur public, pour développer une alternative à l'exercice systématique en libéral, source de l'actuelle fuite vers des hausses de rémunérations et de dépassements d'honoraires qui sont également sources d'inégalités de santé.


Quant aux taxes sur les laboratoires elles sont un expédient dérisoire : c'est toute la politique des médicaments et des prix remboursables qu'il faut revoir. Enfin, en ce qui concerne les taxes sur les mutuelles, le dispositif est pernicieux car elles sont récupérées sur le dos des assurés via une hausse des tarifs, dans le contexte européen qui a forcé la mise en concurrence entre mutuelles et assurances privées. Le programme du Front de Gauche prévoit le rétablissement intégral à 100% des dépenses de santé couverte par la Sécurité sociale ; les mutuelles seraient alors orientées sur les questions de prévention. Nous proposons également d'abroger la loi Bachelot HPST [Hôpital Patients Santé et Territoire, ndlr] et de la loi 2003 ayant institué la tarification à l'activité et la convergence tarifaire entre établissements publics et privés hospitaliers et qui ont conduit à asphyxier l'hôpital public. Les ARS [Agences régionales de santé, ndlr] n'ont d'autre but que d'imposer autoritairement la limitation des dépenses. Nous mettrons fin aux fermetures et démantèlements d'hôpitaux, de maternités, de centres de soins et d'IVG. La tarification à l’activité, ne permet ni de consacrer du temps aux consultations, ni de valoriser les actes non médicaux, pourtant essentiels (actes infirmiers, psychologues, assistants sociaux notamment).

On parle beaucoup de démocratie sanitaire. Est-ce que cette idée vous intéresse et si oui… Comment la concevez-vous ?
Je veux d'abord souligner le rôle d'intérêt général des mouvements citoyens pour la défense du droit à la santé pour tous et partout. Les mobilisations sont importantes, notamment autour de la fermeture de centres d’IVG ou d’hôpitaux de proximité – que ce soit le fait de militants politiques, syndicaux ou associatifs, d'élus ou de citoyens-usagers. Ce sont des actes de résistance à des décisions fondées sur une logique néolibérale. Nous appelons au rétablissement des élections générales des représentants des personnels de santé aux organismes de la Sécurité sociale, dont ceux de l'Assurance maladie, telles qu'elles étaient prévues dans les textes fondateurs de la Sécurité sociale et qui ont eu lieu la dernière fois en 1983. La démocratie sanitaire est un peu aux usagères et usagers du système de santé l’embryon de ce que le paritarisme est aux salariées et salariés. Il faudrait réfléchir aussi à mêler des représentants d’usagers du système de santé et de victimes d'accidents du travail ou de maladies professionnelles à des instances paritaires "classiques" de l’Assurance maladie (dans les agences sanitaires quand cela n’est pas le cas, à la Commission d’AMM [Autorisation de mise sur le marché, ndlr] de la future ANSM [Agence nationale de sécurité du médicament, ndlr], au comité des pénalités des Caisses primaires d’Assurance maladie, les négociations des conventions) composées de représentants patronaux et syndicaux, et ce d'autant plus que les professionnels de santé ou des industries du médicament y ont de plus en plus droit de cité ces dernières années.

Qu’est-ce qui vous intéresse dans cette idée de démocratie sanitaire ?
La démocratie sanitaire m’intéresse en ce qu’elle est née d’un mouvement – engagé notamment par les militants de la lutte contre le sida et que AIDES a largement contribué à diffuser et à faire reconnaître – de groupes de personnes mobilisées pour faire entendre leur voix auprès des responsables publics et politiques. Un mouvement de citoyens qui réclamaient la participation aux discussions sur les décisions qui engageaient leurs vies, une révolte contre l’indifférence à leurs souffrances et contre des intérêts privés guidés par la recherche exclusive de profits financiers. Il faut soutenir la démocratie sanitaire, dans toutes les instances où cela est possible, et en particulier dans celles qui remplaceront les actuelles Agences régionales de santé dont nous demandons la suppression – et lui donner les moyens concrets et réels de s’exercer comme pour les représentants du personnel qui bénéficient de temps pris sur leur temps de travail pour exercer leur mandat. L’enjeu est celui de l’implication de tous dans la prise en compte de leurs besoins en matière de santé. Des expériences sont menées par certaines collectivités pour lier promotion de la santé, éducation à la santé et prévention.

 

Propos recueillis par Jean-François Laforgerie.

 


 

Jean-Luc Mélenchon : "La lutte contre le sida est politique !" (2/3)

 

Candidat du Front de Gauche à l’élection présidentielle 2012, Jean-Luc Mélenchon a accepté de parler de sujets sur lesquels on l’a peu entendu jusqu’à présent : loi sur le médicament, sérophobie, légalisation des drogues, pénalisation, 30 ans d'épidémie, etc. Interview exclusive sur Seronet.

 

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Nicolas Sarkozy s’est engagé lors de sa première campagne présidentielle à augmenter de 25% sur la législature le montant de l’allocation aux adultes handicapés. Il y a eu plusieurs augmentations, malgré tout les personnes qui en sont bénéficiaires vivent toujours sous le seuil de pauvreté. De nombreuses associations et structures syndicales ou politiques, réunies au sein de Ni pauvre, Ni soumis, demandent à ce que cette allocation soit remplacée par un revenu d’existence aligné sur le SMIC. Etes-vous favorable à cette mesure ? Et si oui dans quel système est-ce finançable ?
Les personnes vivant avec le VIH sont directement concernées par la question des revenus de remplacement, sachant qu'une personne sur six est privée d'activité alors même qu'elle voudrait travailler. Parmi les personnes séropositives qui ont un emploi, seuls 22% ont la reconnaissance de travailleur handicapé et 9,2% des personnes vivant avec le VIH ont recours à un temps partiel thérapeutique. Ainsi, s'agissant des revenus, 40% des personnes séropositives ou atteintes d'une hépatite B ou C ont touché moins de 950 euros par mois, le seuil de pauvreté. La pauvreté s’accompagne et se nourrit du rejet qui touche les porteurs du VIH mais aussi d’autres personnes notamment les trans qui sont particulièrement exposé-e-s à l’exclusion. Il n’est pas admissible que l’on vive sous le seuil de pauvreté aujourd’hui en France, 5ème puissance économique mondiale. C'est pourtant le cas de la majorité des 850 000 bénéficiaires de l'Allocation Adulte handicapé, dont le montant reste 200 euros en dessous du seuil de pauvreté. Reprenant une proposition de loi déposée par notre députée Martine Billard en avril 2010, le Front de Gauche défend une politique de mise en accessibilité universelle du bâti et un revenu de remplacement égal au SMIC pour les personnes en situation de handicap. Contrairement à ce qui est rabâché depuis des années ce n’est pas l’argent qui manque mais la volonté politique.

A la suite de l’affaire du
Mediator, le gouvernement propose aujourd’hui un projet de loi sur le médicament. Que pensez-vous de ce texte ?
Le scandale du Mediator (et avant cela, celui du Vioxx) a montré comment sous la pression d’une industrie pharmaceutique qui répond à des impératifs de rentabilité financière et non de santé publique, les autorités sanitaires ont accepté que bien trop de médicaments au mieux inutiles, souvent plus chers, et parfois dangereux, soient mis sur le marché. La multiplication des accidents médicamenteux est la première conséquence de cette course à la pseudo innovation thérapeutique, qui est surtout une course aux profits. Les chiffres les plus couramment avancés font état de 140 000 hospitalisations provoquées par des accidents médicamenteux et de 13 000 décès. A ce titre, la suppression par la loi portant réforme de l'assurance maladie de 2004 de l’Observatoire des prescriptions, et l’intégration de ses missions dans une AFSSAPS [Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, ndlr] sous la coupe des laboratoires qui font du chantage à l'emploi, a aggravé la situation. Concernant les conflits d’intérêts, la loi "post-Mediator" se borne à étendre l’obligation d’établir une déclaration d’intérêts et à exiger que tout professionnel mentionne ses liens avec l’industrie pharmaceutique. Il aurait été préférable d’interdire purement et simplement tout lien d’intérêt avec l’industrie pharmaceutique aux membres des instances liées à la politique du médicament. Cette loi ne dit rien des visiteurs commerciaux dits "médicaux" alors que chaque médecin généraliste reçoit en moyenne 330 visites par an.

Quelles mesures pensez-vous mettre en place pour créer ce que vous appelez dans votre programme : "un pôle public du médicament" ?
Le programme du Front de Gauche propose un pôle public du médicament constitué en prenant appui sur une entreprise publique intervenant sur la recherche, la production et la distribution des médicaments. Ce pôle sera chargé de produire une partie des médicaments afin d'encourager la recherche sur des médicaments supposés "non rentables". Lors du débat sur la loi sur le Renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, les députés et députés du Front de Gauche ont défendu la proposition de l'identification des molécules présentant un fort intérêt public pour permettre, sous certaines conditions, leur appropriation publique, comme un premier pas vers la remise en cause de la logique des brevets, création liée au développement de l’industrie du médicament dans l’après-guerre. Or, le coût initial de l'achat de brevets mis dans le domaine public représenterait à terme un moindre coût que la politique actuelle de remboursement par la protection sociale à des prix qui restent fixés par les industriels. A l’échelle internationale, une politique de santé publique doit viser à faire baisser les dépenses de santé pour les patients (vaccins ou trithérapies, par exemple) pour les rendre accessibles à tous, sur tous les continents.
Enfin, il y a des sujets très techniques mais qui en disent long sur les choix qui sécurisent les professionnels et les laboratoires pharmaceutiques, plus que les malades eux-mêmes. Ainsi, nous partageons les préoccupations des associations de malades concernant le devenir du dispositif des Autorisations temporaire d’Utilisation (ATU) (pré autorisations de mises sur le marché AMM), mis en place à la suite de l’engagement des associations de lutte contre le sida. Les ATU ont permis de faire face à des situations dramatiques où des personnes allaient mourir faute de traitements, alors que des molécules étaient en cours de développement et que les résultats des essais étaient très positifs. Sous couvert de sécuriser le médicament (mais aussi de limiter les dépenses à la charge des laboratoires) ce dispositif devait être fragilisé... Grâce à la mobilisation de vos associations, et aux parlementaires qui l’ont relayée, le texte devrait finalement éviter le recul prévu. C’est une question de vie ou de mort pour certains malades...

En matière de lutte contre les hépatites et le VIH/sida, des organisations non gouvernementales réclament la mise en place de mesures qui ont fait leur preuve à l’étranger dont les créations de salles de consommation supervisée, l’accompagnement à l’injection, l’auto-prélèvement chez les personnes usagères de drogues (ce qui favorise l’accès aux services de santé). Etes-vous favorable à leur mise en place ?

Les résultats de la réduction des risques liés à l'usage de drogues ne sont pas négligeables : baisse du nombre d’overdoses et du taux de prévalence VIH chez les usagers de drogues. Reste que l’accroissement des contaminations par l'hépatite C, avec des taux allant de 70% à 90% chez les injecteurs qui fréquentent des structures de soins, montre qu'il est nécessaire de développer de nouveaux programmes. Il y a, chaque année en France, 8 000 contaminations par les virus de l’hépatite B et C, et 4 000 morts, dont une majorité sont des usagers de drogues. L'une des options envisagées est la mise en place de salles de consommation dites "à moindre risques" dans les grandes villes, hauts lieux de consommation, notamment des usagers les plus précaires. Je suis conscient que de fortes réticences existent sur ce sujet. Mais je considère comme nombre d’élus municipaux et régionaux du Front de Gauche qu’il faut dépasser les préjugés et s’appuyer sur les expérimentations menées notamment par Médecins du Monde. De telles salles de consommation offrent une sécurité sanitaire pour les usagers de drogues par la présence d’équipe de professionnels qui contribue à réduire les risques sanitaires liés à l’injection (VIH, hépatites, infections, septicémies, surdoses). Mais il en va aussi de la sécurité et la tranquillité pour les habitants car l’existence de telles structures réduit la consommation de drogues dans les espaces publics et les cages d’escaliers et diminue la présence des seringues. Les professionnels de santé estiment par ailleurs que cela permet de rentrer en contact avec les personnes ayant le plus de difficultés à entamer un parcours vers les soins.


Et sur les programmes d’échanges de seringues en prison…
Concernant les programmes d’échanges de seringues dans les prisons, plusieurs rapports parlementaires et d’études d’acteurs de terrains alertent sur la situation sanitaire alarmante dans les prisons : une prévalence du VIH deux à quatre fois supérieure à celle de la population et de cinq à huit fois en ce qui concerne l’hépatite C ! Or des programmes expérimentaux d'échanges de seringues en milieu libre en France, ou en milieu fermés à l’étranger, ont montré leur efficacité sur la prévention de la transmission du sida et des hépatites mais aussi sur la réduction de la consommation de drogues dans une approche combinée d’échange de seringues et de traitement de substitution. Et ces dispositifs n’ont pas entraîné de recrudescence de problèmes de sécurité. La lutte contre la toxicomanie ne passe pas par un accroissement de l’arsenal répressif qui a prouvé son inefficacité mais par la mise en œuvre d’une politique de santé publique, raison pour laquelle nous sommes favorables à l’expérimentation de ces programmes d’échanges en milieu fermés notamment.

Ces derniers mois, le débat a été particulièrement intense sur la question de la légalisation de la consommation des drogues. Selon vous, doit-on revenir sur la loi de 70 ? Etes-vous favorable à la légalisation et si oui de quoi ?
C’est un débat de société qui traverse toutes les organisations politiques. Le Front de Gauche n’y fait pas exception. Reste un bilan des politiques actuelles de lutte contre les drogues basé sur un modèle répressif dont l’inefficacité en termes de santé publique est patente. Le débat voit s'affronter les partisans d'une caractérisation dite "douce" de certaines drogues à ceux qui y voient une abomination sans appel. Or la gestion par le contrôle de l'offre sans se soucier de la demande est un échec, comme de s'employer à criminaliser les consommateurs. Ce modèle n'a pas su résoudre les problèmes soulevés par les drogues, tant au niveau national qu'international, comme le révèle le rapport de la Global Commission on Drug Policy (GCDP) de 2011 [voir article sur Seronet, ndrl]. En France, la disponibilité des produits concernés n'a pas baissé avec la chasse au chiffre mise en place par Sarkozy et leur consommation progresse (entre 1998 et 2008 : +34,5% pour les opiacés, +27% pour la cocaïne et +8,5% pour le cannabis). Le trafic généré par la vente finance les grands réseaux de criminalité et entraine de la corruption. Tout ceci multiplie les procédures, coûte cher et encombre la justice pour, au final, réprimer les consommateurs et les patients dépendants. Les produits disponibles illégalement de qualité médiocre exposent à d'importants risques sanitaires (VIH, VHC, overdose isolée...). Le prix lié au trafic illégal de ces substances, combiné à la précarité de nombre de consommateurs, est source de criminalité et de drames sociaux et humains comme la prostitution. L'escalade de la consommation est poussée par tout le réseau "dealer" qui y voit l'opportunité d'augmenter ses bénéfices. A l'international, cette approche renforce les grands groupes criminels et paramilitaires, la corruption et épuise les ressources des pays producteurs, sans apporter de solution aux problèmes socio-économiques, terreau de la production des drogues. Quant aux statistiques sur les Pays-Bas ou le Portugal (Global Commission on Drug Policy) qui ont légalisé l'usage du cannabis, elles ne montrent pas de différences avec les autres pays en matière de consommation de cannabis des locaux. Elle peut augmenter en volume du fait du "tourisme cannabique", d’où la tentative des Pays-Bas de limiter ce " tourisme". Et selon une étude de l'Université de Colombie Britannique (The Pain Project) des pays du Tiers-Monde manquent de morphine pour l'usage médical, compte-tenu des barrières administratives internationales mises en place pour lutter contre la drogue.

Avez-vous arrêté une stratégie sur cette question ?
Tous ces éléments poussent certains au sein du Front de Gauche à s’exprimer en faveur de la dépénalisation de l’usage voire de la légalisation du cannabis, d’autres y sont opposés. Pour ma part, je considère qu’il n'existe pas de solution miracle pour résoudre la problématique de l'usage des drogues. Il convient donc de débattre de la meilleure approche possible pour réduire les dommages sanitaires et sociaux de ces consommations, débat qui ne peut faire l’impasse sur un changement législatif pouvant remettre en cause la pénalisation actuelle. Le débat doit aussi porter plus largement sur la consommation excessive et dangereuse de psychotropes qui est impulsée par l'industrie pharmaceutique en toute légalité. Nous proposons de développer des politiques d'encadrement et de prévention de la consommation de toutes les drogues notamment contre l'usage des drogues au volant et sur les lieux de travail. Grâce au débat public et argumenté, nous devons réinterroger l’ensemble de nos politiques sur ce sujet, oser expérimenter et développer la prévention et le suivi sanitaire.

Ces dernières années, les avancées scientifiques en matière de VIH/sida ont été majeures. Paradoxalement, les avancées sociales (meilleure acceptation sociale du VIH, lutte contre les discriminations liées à l’état de santé…) ont été quasi inexistantes. Une récente affaire (celle de Dax, il y a quelques mois) a montré les limites de la loi pénale actuelle en matière de sanction des agressions sérophobes. Etes-vous favorable à ce que la sérophobie soit, comme c’est par exemple le cas pour l’homophobie, sanctionnée par la loi et reconnue comme une circonstance aggravante ?

Selon une enquête réalisée par votre association - pour un colloque sous l'égide de l'Organisation internationale du Travail quant au sida dans le milieu professionnel - en octobre 2011, seulement 46% de personnes séropositives exerçaient une activité professionnelle. Cette statistique était toutefois meilleure qu’en 2005, lorsque seulement 23% des personnes vivant avec le VIH travaillaient. Cette amélioration relative dans l'accès à l'emploi est due à la généralisation de l'usage des trithérapies. Toutefois, les discriminations à l'embauche perdurent : pour 24% des agents du public et 39% des salariés du privé, le sida est un facteur discriminant à l'embauche. Et un quart des salariés estiment que le VIH est un handicap pour évoluer. S'agissant des discriminations subies par les malades du VIH, le procès de Dax en mai dernier a été exemplaire, cinq mois de prison avec sursis, assortis de 2 000 euros de dommages et intérêts, à l'encontre d'un homme qui avait menacé de mort son beau-fils avec une arme à feu, en proférant des propos discriminatoires à raison de son orientation sexuelle (homosexualité) et son état de santé (séropositivité). Depuis 2003, le motif de la discrimination à raison de l'orientation sexuelle est une circonstance aggravante en cas d'agressions physiques ou de menaces, au même titre que les motifs racistes, xénophobes, antisémites ou sexistes, mais non celui de l'état de santé. S'agissant de la pénalisation des propos publics discriminatoires (injures ou provocation à la haine...), depuis décembre 2004, les propos sexistes, homophobes ou à raison d'un handicap sont pénalisés de même que les propos racistes, xénophobes, antisémites. La liste des discriminations reconnues à l'article 225-1 du Code pénal est pourtant plus longue. Selon le Code pénal : "Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée". La création de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) en 2004 avait procédé de la volonté d'offrir un dispositif universel de lutte contre toutes les discriminations, sans hiérarchie. Afin de ne pas succomber, nous non plus, aux lois pénales d'exception dictées par l'émotion que nous dénonçons dans la pratique de l'UMP, il me semble qu'il faut rester dans ce cadre universel, d'intérêt général sans hiérarchie. Il faudrait toutefois ajouter à cette liste le motif de discriminations pour "identité de genre", afin d'inclure la lutte contre les discriminations subies par les personnes trans (transsexuelles ou transgenres). Et contre les stigmatisations subies par les personnes séropositives, qui posent le statut particulier du VIH/sida qui reste considéré comme une maladie "honteuse" que beaucoup refusent encore de nommer, il faut miser sur l'éducation pour faire reculer les réflexes d'exclusion ou de violences inacceptables envers ces malades.

De très nombreux pays ont modifié leur législation concernant la pénalisation de la transmission du VIH. Certains l’ont renforcée (en Afrique…), d’autres l’ont assouplie (Suisse par exemple) notamment avec les avancées scientifiques sur le rôle du traitement en matière de transmission du VIH. On assiste, par ailleurs, à une multiplication des plaintes en France. Ce phénomène vous alarme t-il et si oui comment y répondre ? Cela passe-t-il par une modification de la législation actuelle, par d’autres solutions ?

Ce n’est probablement pas un hasard si c’est la transmission du VIH - et pas une autre maladie - qui finit devant la justice. Le fait que des personnes séropositives n’ont pas révélé leur statut sérologique à leurs partenaires renvoie à la place de cette maladie dans l’imaginaire social. Bien entendu, on ne doit pas empêcher une personne de demander à la justice qu’elle répare le préjudice qu’elle estime avoir subi. Mais, comme y invite le Conseil national du sida, on doit en matière de prévention de la transmission du VIH imposer le principe de "responsabilité partagée". Ce principe est né du constat que la prévention ne pouvait pas reposer sur les seules personnes infectées et qu’il fallait éviter le rejet violent des personnes atteintes, vues comme responsables de leur état et coupables de la transmission. En 1991, lors de l’examen de la réforme du code pénal, le Sénat avait adopté un amendement faisant de la transmission du virus du sida une infraction passible de trois ans de prison et d’une amende. Suite à l’action des associations, cette disposition avait été supprimée à l’Assemblée. Je note qu’il n’y a pas eu besoin d’un délit spécifique pour faire condamner des personnes, ce qui prouve que nous n’avons pas besoin à chaque nouvelle affaire de modifier le code pénal. Les séropositifs doivent pouvoir dire leur statut sérologique à leurs partenaires. La société doit créer les conditions de cette parole, pour qu’elle n’entraîne ni rejet ni exclusion, ce qui est trop souvent le cas, y compris dans un groupe aussi concerné par le VIH que celui des hommes homosexuels. L’accumulation des procès ne changera rien à la situation qu’ils illustrent. Elle risque même de contribuer davantage à pointer du doigt les séropositifs comme des menaces sanitaires, alors que les chercheurs nous ont appris que la peur de transmettre est au cœur des préoccupations des porteurs du VIH, au point qu’un grand nombre s’abstiennent de toute relation sexuelle. C’est au niveau des représentations et des mentalités qu’il faut agir, or ce ne sont pas les choses les plus faciles à faire évoluer ! En particulier les représentations des personnes les plus éloignées, en apparence, de l’épidémie, sur la sexualité et le couple – celles qui ont trait à la fidélité. Je note que ces affaires concernent, dans leur très grande majorité, les partenaires de couples hétérosexuels, et que, le plus souvent, ce sont des femmes qui se trouvent en situation de demander réparation du préjudice. Pour lutter efficacement contre le sida, il faut que tout le monde se sente concerné. Une politique globale de promotion de la santé sexuelle pourrait y contribuer. Les partenaires doivent se protéger en dehors du couple et se faire dépister en cas de prise de risque. Mais il est aussi nécessaire de mener des campagnes pour que les femmes ne peinent plus à imposer le préservatif à leurs partenaires masculins et que les relations extra-conjugales et leurs implications sur un couple en termes de prévention puissent être abordées dans les campagnes de prévention grand public. On peut espérer que la nouvelle stratégie de dépistage du VIH, qui vise à ce que les médecins le proposent plus systématiquement, permettra d’ouvrir des espaces de parole, notamment chez les personnes qui se considèrent, parfois à tort, comme les moins concernées. On peut également espérer que les antirétroviraux qui contribuent à réduire le risque de transmission du VIH par les séropositifs permettent à ceux-ci d’avoir une parole plus libre avec leurs partenaires sur leur statut. Il faut développer massivement le dépistage, la connaissance du statut sérologique et l’accès aux soins et aux traitements. Ceci n’est possible qu’à travers l’information et la mobilisation de tous.

Une nouvelle disposition de la loi LOPPSI 2 instaure le dépistage sous contrainte de personnes présumées séropositives lorsqu’elles ont été en contact avec des dépositaires de l’autorité publique (forces de l’ordre, huissiers…). Que pensez-vous de cette mesure ? Doit-elle être conservée ?
Le dépistage sous contrainte porte atteinte au caractère libre d'accès aux soins. Et pourquoi pas aussi communiquer les résultats à l'employeur, la compagnie d'assurance, le propriétaire du logement, les syndics etc. ? Que sera-t-il fait en définitive de ce dépistage ? Leurs résultats sous contrainte seront-ils conservés par la police ou tout autre service administratif non soumis au secret médical ? Ce texte législatif manque totalement de rigueur et ne peut servir qu’à réprimer et à ficher des personnes. Pour le Front de Gauche, il est attentatoire à la liberté des individus dans notre République. Nous l’abrogerons comme d’ailleurs l’ensemble de cette loi qui est dans son essence même attentatoire aux libertés publiques. A l’inverse nous soutenons la démarche de votre association qui se mobilise depuis longtemps pour un dépistage gratuit, confidentiel et libre. Loin de la contrainte qui cible "certains", nous considérons que la puissance publique doit soutenir les campagnes encourageant au dépistage car il est idiot de croire que l’on se protège tout au long de sa vie. Le préservatif n’est pas la solution miracle. Prétendre qu’on l’utilise tout le temps, tout au long de sa vie, c’est s’interdire de lancer de vastes campagnes encourageant au dépistage anonyme qui ne juge pas mais permet de développer la prévention.

Cette année, l’épidémie de sida a 30 ans. Concernant cette maladie, qu’est ce qui vous frappe aujourd’hui ?
Le regard vis-à-vis des séropositifs a-t-il vraiment changé ? Je veux croire que oui, mais en même temps je sais que pour la majorité cela n’est pas vrai. Certes on a su tordre le cou à certains fantasmes. Mais la maladie est toujours vécue comme quelque chose d’honteux. Encore aujourd’hui assumer sa maladie c’est l’exception, la peur du rejet, du jugement moral aussi… De plus nous assistons aussi à une fausse idée qui voudrait faire croire que l’épidémie serait derrière nous. Or dans le monde selon les chiffres de l’ONUSIDA en 2009 plus de 33 millions de personnes vivent avec le VIH, il y a chaque année plus de 2,5 millions de nouvelles contaminations et on comptabilisait 1,8 millions de morts dus au sida. Aujourd'hui, les politiques d'austérité imposées à l'Europe deviennent le principal obstacle à la fin de la pandémie. En Grèce, les infections au VIH ont augmenté de 50% depuis le début de la crise, à cause des coupes budgétaires dans les programmes de préventions et de soins, et de l'augmentation des conduites à risques, notamment la consommation d’héroïne. En France, ce sont 152 0000 personnes qui vivent avec le VIH et environ 50 000 d'entre elles ne le savent pas. En 2009, ce sont 6 700 nouveaux cas qui ont été diagnostiqués (dont une majorité de personnes âgées de moins de 40 ans). Dans notre pays, 1 700 personnes sont décédées du sida. La pandémie se développe aussi par ignorance, refus de développer des politiques de prévention et d’éducation, refus d’en parler… Il reste beaucoup à faire. L’égalité entre les sexes et entre les sexualités doit devenir un objectif central de l’éducation à la sexualité. Nous devons sur ce terrain qui participe de l’émancipation comprendre que l’égalité dans la sexualité et des sexualités contribue à l’égalité dans la société.

AIDES parle souvent à propos de ses militants et de ceux qui luttent contre le VIH/sida de personnes séro-concernées, qui se sentent concernées à des titres divers, de façon plus ou moins directe par le sida. Comme homme, citoyen, militant, candidat à l’élection présidentielle, vous sentez-vous séro-concerné ?
Bien sûr, en tant que militant politique de gauche, je suis séro-concerné. L’épidémie de sida, c’est un fait social autant qu’un enjeu médical lié à un virus. On le voit bien, y compris à travers l’ampleur des domaines abordés par vos questions : elle révèle des enjeux qui touchent aux droits des personnes, à l’accès aux soins de toutes et tous et notamment des plus précaires, aux relations Nord/Sud… Le sida met à jour les injustices sociales, l’imbécillité de certaines législations, l’absurdité des politiques sécuritaires et la cupidité du libéralisme où prime la rentabilité immédiate sur la santé. Comme sur la question des étrangers malades, dont on a parlé auparavant, la lutte contre le sida est politique, c’est une lutte pour la dignité des personnes, et le respect de leurs droits. Les droits qui émancipent une minorité sont des acquis pour tous.


Propos recueillis par Jean-François Laforgerie.

 


 

Jean-Luc Mélenchon : "Il est temps que la richesse produite aille à l’Humain d’abord" (3/3)
Ancien ministre, aujourd’hui député européen, Jean-Luc Mélenchon a été élu en juin 2011 par les militants du PC et du Parti de gauche pour porter les couleurs du Front de Gauche à l’élection présidentielle 2012. Sollicité par Seronet, il explique sa position sur la taxe sur les transactions financières et ce qu’il préconise en matière de lutte contre le sida au niveau international. Interview exclusive sur Seronet.

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Des organisations non gouvernementales réclament la création d’une taxe sur les transactions financières dite aussi "taxe Robin des Bois" dont le produit permettrait de financer la santé et le développement, la lutte contre la pauvreté et le changement climatique à l’échelle mondiale. Cette taxe pourrait rapporter, chaque année, des milliards d’euros. Etes-vous favorable à cette taxe ?


Le Front de Gauche défend l’idée d’une taxation sur les transactions financières. Souvenons nous qu’elle fut initiée il y a près de 15 ans par l’association Attac. J’ai moi-même défendu au Sénat le 1er décembre 1999, sous la forme d'un amendement soutenu à l'époque par 46 sénateurs, qu’une taxe sur les transactions financières soit imposée. A l’époque beaucoup prétendaient cette mesure impossible. La récente et bien tardive proposition de la commission européenne prouve qu'il est possible, comme le demande le Front de Gauche, de désobéir au Traité de Lisbonne qui interdit les limitations à la libre circulation des capitaux. Cela démontre aussi qu'il est possible d'appliquer cette taxe à un groupe de pays sans attendre que tous les autres pays l'aient décidé, comme l'envisage Barroso [président de la Commission européenne, ndlr] avec un projet de coopération renforcée. Je déplore que la proposition envisage une taxation réduite pour les produits dérivés, alors que ce sont les transactions les plus massives et nocives pour l'économie réelle.

 

Selon vous qui doit gérer le produit de cette taxe et à quoi doit-il être affecté ?

C'est une question délicate car l'assiette de cette taxe est instable en raison de la volatilité des marchés financiers. Son rendement sera donc instable et les priorités que cette taxe financera ne devront donc pas être affectées par les fluctuations de ce rendement. Son affectation devra en tout état de cause impliquer les peuples. Elle pourrait contribuer à financer la reconversion écologique de la production, la protection des ressources naturelles des pays du sud ainsi que le co-développement. Il n’est pas acceptable que l’on trouve de l’argent pour sauver les banques et que les organismes internationaux peine à trouver de l’argent pour lutter contre la famine et les pandémies.

Nicolas Sarkozy a pris des engagements sur ce sujet, mais le flou demeure sur la mise en place de la taxe (Faut-il attendre une décision européenne ? La mise en place d’un groupe de pays pionniers ? L’unanimité ? La France doit-elle montrer l’exemple ?). Si vous étiez en situation, quelle serait votre décision concernant cette taxe ?
J’ai proposé il y a quelques semaines que soit appliquée immédiatement en France une taxation des transactions financières, sans attendre une éventuelle décision européenne en 2014. Je rappelle que l'article 235 ter ZD du code des impôts, voté par la gauche en 2001, nous y autorise. En 2012, si le Front de Gauche gouverne, il décidera d'appliquer une telle taxe de manière uniforme sur tous les types de transactions. Si Sarkozy dit qu’il ne peut pas le faire seul, il ment. Comme souvent dès qu’il s’agit d’organiser la redistribution. Je note aussi que l’on ne peut envisager cette taxe sans remettre en cause le cadre actuel de la construction européenne. Rien ne pourra être fait si l’on se refuse à remettre en cause le traité européen de Lisbonne qui interdit toute entrave à la libre circulation des capitaux, promeut le libre-échange généralisé, fait échapper une part croissante de notre législation à la souveraineté populaire et officialise le pouvoir corrupteur des lobbies. C’est pourquoi le Front de Gauche souhaite que le peuple soit consulté par référendum pour permettre à notre pays de désobéir sans attendre à une liste de dispositions du traité de Lisbonne, prélude à une refondation de l’Union toute entière. Faire comme si l’on pouvait tout faire avec le cadre européen actuel c’est mentir par omission.

Le gouvernement oppose souvent aux organisations non gouvernementales, lorsqu’elles demandent à la France de tenir ses engagements en matière d’aide publique, le fait que la France ferait déjà beaucoup en matière de développement, notamment sur les questions de santé, via Unitaid, la contribution française au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Partagez-vous cet avis et que proposez-vous sur les questions d’aide au développement international, par exemple en matière d’accès universel aux traitements des malades touchés par le VIH ?
La contribution financière de la France est, en effet, plus élevée que celle d’autres mauvais élèves de l’aide au développement. Mais elle n’est pas à la hauteur des besoins. Par ailleurs, on peut à raison critiquer les institutions religieuses lorsqu’elles font campagne contre le préservatif, arrêtons donc d’être des relais de la parole de l’Eglise en dépensant des milliers d’euros d’argent public pour les grands-messes du Pape au mépris de la laïcité. Non, décidément, il est temps que la richesse produite aille à l’Humain d’abord. Pour le Front de Gauche, la solidarité internationale entendue comme "l’intérêt général des générations actuelles et à venir doit primer sur les intérêts particuliers". Il est temps de considérer qu’il y a des biens publics mondiaux à protéger et dont l’accès doit être garanti.


De même l’instabilité de la Corne de l’Afrique ne se combattra pas à mettant toujours plus de militaires ou d’entreprises privées de sécurité. Si seulement une partie des sommes allouées pour sauver les banques étaient utilisées pour lutter contre la famine dans cette région, le ressort qui alimente ces bandes armées serait réduit voire annihilé. En matière de santé, c’est la même chose. Sans aucun doute, les pays riches doivent augmenter leurs contributions, en particulier au Fond mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Mais pour assurer l’accès universel qui sauvera des vies, donc agir sur l’épidémie il faut une solidarité effective avec des sommes nouvelles pour l’accès à la santé, mais aussi rompre avec la logique de mise en compétition des systèmes économiques et sociaux et de libéralisation des échanges commerciaux et flux financiers qui ruinent les économies de ces pays. Remplir davantage les caisses dans un système identique de compétition absurde et inhumaine, c’est comme essayer de vider les océans avec une petite cuillère. L’impératif, c’est de faire baisser les prix des médicaments, de travailler à un nouveau système de rétribution de l’innovation, à travers le règlement de la question de la propriété intellectuelle, qui revient à faire payer ses médicaments aux patients. C’est l’un des débats fondamentaux qui touchent à l’accès aux soins. La Bolivie, la Th

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